Ancien agriculteur, Roger Nicolas s’est installé avec ses parents au manoir de Champagne vers l’âge de 13 ans. Il se souvient d’une époque où, avant l’arrivée de l’électricité, la fabrication du cidre, la conception d’une charrette ou encore le ferrage d’une roue faisaient alors l’objet de véritables savoir-faire.
Le cidre était une boisson très courante dans les années 50. En tant qu’agriculteur, avez-vous eu l’occasion d’en fabriquer ?
Autrefois, un fermier payait son meilleur ouvrier avec un fût de cidre. A Champagne, nous avions 400 pommiers et la vente du cidre nous permettait de régler notre loyer. Quand j’y repense, je suis sûr que les jeunes ne voudraient pas boire du cidre fait à l’ancienne: la claie en bois était démontée et nettoyée tous les deux ans par un charron* et, pour la remonter, nous mélangions à la main de la bouse de vache à de la balle d’avoine. Le tout était bien beurré puis serré pour que ce soit bien collé. C’est authentique! Bien entendu, elle était ensuite lavée…
Quelles étaient les différentes étapes de fabrication ?
Tout était fait à la main au début. Le jour précédant le pressage, il fallait d’abord piler les pommes pour obtenir le marc. Nous le laissions mariner une nuit dans une grande cuve pour qu’il prenne de la couleur. Ensuite, le marc était posé par couches dans le pressoir, séparé par de la paille.
Et le soir après la soupe, tout le monde allait serrer! Une fois les cages en bois du pressoir retirées, les bords étaient taillés avec un coupe-marc – parce qu’il reste souvent plus de jus sur les bords – puis les résidus étaient reposés sur le marc et pressés à nouveau. Nous obtenions quasiment une tonne de jus. Nous allions livrer nos fûts dans un café de la rue de Brest à Rennes, en charrette d’abord et plus tard en tracteur. Je me rappelle d’ailleurs que mon père avait décidé de faire fabriquer une charrette par Paul Petit, le charron de Pacé, sans doute une des dernières faites avec des roues à bandages en fer…
Pouvez-vous nous raconter ?
Le charron travaillait tout à la main lui aussi. Mais pour faire une charrette, nous devions déjà abattre un arbre nous-mêmes, puis transporter les billes à la scierie qui se situait dans le bourg juste devant l’actuel cabinet mé- dical. En guise de diable, jusqu’en 1950, nous utilisions une flèche soutenue par un cheval qui devait rester bien tendu sans bouger pendant l’opération. C’était un sacré cheval, qui obéissait à la parole ! Ensuite, le cric a remplacé la flèche pendant encore dix ans et c’était déjà beaucoup plus facile.
Après ça, nous mettions le bois dans un trou d’eau pendant deux mois pour tirer la sève et qu’il sèche plus vite une fois à l’air. Par contre, le ferrage des roues était réalisé par le forgeron. C’était très particulier… Il faisait un feu large de 2 mètres 50 afin de dilater le cercle en fer. A l’aide de pinces, trois ou quatre hommes disposés à 2 mètres du feu posaient le cercle sur la roue, tapaient dessus pour le faire descendre puis ajoutaient vite de l’eau pour le serrer sur le bois.
C’était calculé au cordeau, pour que le cercle ait les bonnes dimensions à la pose. Quelquefois, les hommes buvaient un peu de cidre et le soir, ils avaient un petit coup dans le nez…
* Le charron était un artisan spécialiste du bois et du métal qui construit et répare les trains des véhicules à traction animale (charrettes, chariots, etc.), en particulier, les roues de ces véhicules